Cassandra Myers était une infirmière modeste employée dans un hôpital de la région. Bien que les infirmières soient généralement bien rémunérées aux États-Unis, la majeure partie de son salaire servait à rembourser les prêts contractés pour ses parents défunt, ne lui laissant que le strict nécessaire.
Elle habitait la maison familiale, nichée dans un quartier calme. Juste à côté vivaient quatre sœurs octogénaires, frêles et peu enclines à solliciter de l’aide.
À chaque retour de ses gardes, Cassandra les observait peiner à porter leurs courses, faire le ménage, sortir les poubelles ou préparer leurs repas. Un soir, elle décida de frapper à leur porte pour leur proposer son aide. Les vieilles dames, ravies, accueillirent aussitôt sa compagnie chaleureuse.
« Tu es un ange, Cassandra », lui dit un jour Marie, l’aînée. « Au moins permets-nous de te dédommager ! » Mais Cassandra secoua la tête : « Non, vraiment, je suis là parce que je tiens à vous, pas pour l’argent. Ne vous inquiétez pas. »
Tous les jours, elle cuisinait pour elles, faisait la vaisselle, préparait leurs médicaments et les aidait à s’habiller. Une fois, autour de la table, elle osa demander : « Pourquoi n’êtes-vous jamais allées en maison de retraite ? Ils auraient pu bien mieux vous prendre en charge ! »
Clara expliqua qu’elles détestaient l’idée d’être séparées : « On voulait continuer à vivre ensemble, dans notre cocon. Là-bas, on serait dispersées, et on ne connaît pas toujours les intentions des autres. »
« Mieux vaut être entourées d’amour sincère que dans un établissement où l’on est étrangère », renchérit Mindy, la benjamine.
Cassandra comprit leur choix et les rassura : « Tant que je pourrai marcher, comptez sur moi ! C’est ça, être voisins ! »
« La meilleure voisine qu’on puisse rêver », sourit Lisa en serrant sa main.
Les mois passèrent, et malheureusement, une à une, les sœurs s’éteignirent. Cassandra organisa leurs obsèques et nettoya la maison pour la dernière fois. Lors des funérailles de la cadette, seules étaient présentes Cassandra et Maître Abigail Smith, l’avocate de la succession.
« Vous devez être Cassandra », dit Maître Smith. « Merci d’avoir veillé sur elles toutes ces années. »
Les larmes aux yeux, Cassandra répondit : « Elles m’ont tant apporté… Je vais tellement regretter leur présence. »
L’avocate lui remit alors un dossier : « Les filles et fils de Marie, Clara, Lisa et Mindy vivent chacun dans un autre État et n’ont jamais assisté aux cérémonies. Blessées par cet abandon, leurs mères ont décidé de modifier leur testament : tout ce qu’elles possédaient vous revient. Maison, bijoux, argent… tout. »
Bouleversée, Cassandra balbutia : « Je ne mérite pas un tel legs ! »
Maître Smith la rassura : « Si, vous le méritez amplement : vous avez été pour elles plus qu’une voisine, une véritable fille. »
Quelques jours plus tard, les enfants des sœurs contactèrent l’avocate pour contester le testament. Mais avant toute action, chacun reçut une lettre posthume de sa mère, libellée ainsi :
« Mon enfant chéri,
Tu te demandes sans doute pourquoi je ne t’ai rien laissé. Je t’aime infiniment et suis fière de la vie que tu mènes loin de moi. Cependant, j’espérais te voir plus souvent, partager mes derniers instants. J’ai ressenti ta distance comme une blessure. Aussi ai-je choisi de confier mon héritage à celle qui a su rester près de moi quand tu étais absent. Je sais que tu sauras vivre sans ces biens, comme tu as vécu sans moi.
Avec tout mon amour, Maman. »
Ce même jour, les héritiers, profondément touchés et honteux, renoncèrent à la procédure juridique. Ils prirent enfin conscience de l’amour qu’ils devaient à leurs mères.
Depuis, chaque année à la date de leur disparition, Cassandra découvre sur leurs tombes de magnifiques bouquets frais, offerts par ces enfants repentis. Un dernier témoignage du lien indéfectible qui unit les sœurs à celle qui fut, jusqu’au bout, leur véritable famille.