Je l’ai supplié, mais mon mari a exigé un test ADN : comment lui faire comprendre que je n’avais aucune intention de le tromper ?

Ce jour‑là, j’étais assis dans mon cabinet, feuilletant paresseusement mon agenda, déjà persuadé qu’on ne pourrait plus rien m’apprendre. Dix ans de pratique m’avaient tout enseigné : des banalités sur les « crises de couple » aux récits les plus incroyables, comme « je suis marié à une sorcière ». Mais quand elle est entrée, j’ai tout de suite ressenti quelque chose… d’anormal. L’air dans la pièce se faisait soudain plus lourd, plus dense, comme annonciateur d’une tempête. Elle s’est installée dans le fauteuil en face de moi, le dos si droit qu’on aurait dit un tuteur métallique. Ses yeux fuyaient les miens, mais retenaient une intensité vitale. J’attendais un monologue sur des ennuis conjugaux banals, et ses premiers mots ont brisé le silence comme le coup d’un pistolet.

— J’ai trompé mon mari… par accident. Je ne savais pas que j’étais enceinte. Et j’ignorais que l’enfant n’était pas de lui, mais du voisin. Maintenant, il exige un test ADN, et je le supplie de sauver notre famille…

Machinalement, j’ai refermé mon agenda et me suis renversé dans mon fauteuil, comprenant que je sauterais sûrement le déjeuner.

L’histoire semblait tout droit sortie d’une mauvaise telenovela : Alina élevait un bébé de six mois, persuadée que tout allait bien. Mais la semaine précédente, son mari avait découvert d’anciennes conversations suggérant ses « aventures » avec un voisin de la datcha. Apparemment, une amie d’Alina en avait parlé, ou bien il avait retrouvé des photos sur un vieux téléphone ; les détails importent peu. Ce qui comptait, c’est qu’il était hors de lui à la pensée de la « trahison » et avait exigé un test ADN, qui avait révélé que l’enfant n’était pas de lui.

J’avais déjà vu maints couples tenter de rafistoler un mariage en perdition : adultères, non-dits, magouilles financières… Mais ce qui m’a frappé, c’est qu’Alina refusait catégoriquement de reconnaître sa faute. Elle clamait : « Ce n’était pas volontaire. Ce n’est pas comme on le pense. C’est parti tout seul ! » En l’écoutant, j’ai repensé à mes cours universitaires : les gens nient souvent l’évidence quand leur estime en prend un coup. J’ai compris qu’il fallait creuser plus profondément.

— Racontez-moi comment vous avez « accidentellement » trompé votre mari, ai-je demandé avec retenue, bien que je brûlasse de curiosité.

Alina a haussé les épaules, comme si elle plaidait sa cause devant moi plutôt que devant son mari :

— C’était à la datcha. Mon mari et moi y étions venus au printemps pour nous reposer. Puis il est reparti en ville pour le travail, et je suis restée seule. J’aimais me promener là-bas, l’air frais, la rivière… Un voisin est venu m’aider : porter du bois, allumer le feu…

J’ai écouté en silence, tentant de masquer mon étonnement. Elle semblait consciente de l’absurdité de son récit :

— Franchement, je n’avais pas prévu ça. Je lui écrivais, mon mari ne répondait pas, je m’ennuyais… Et c’est parti. On a bu du vin ensemble, et vous connaissez la suite.

— Accidentellement… plusieurs fois, ai-je répété d’un ton neutre.

— Ça paraît fou, mais je n’imaginais pas que ça durerait. Je pensais à une simple erreur, mais cela a duré trois mois : weekends et jours fériés avec mon mari, et en semaine… avec lui. Il n’y avait même pas d’amour, juste de l’excitation.

— Je comprends, ai-je hoché la tête, même si je ne comprenais pas tout. — Pourquoi avez‑vous arrêté ?

— Tout s’est arrêté quand j’ai appris que j’étais enceinte. J’ai pris conscience qu’il fallait arrêter cette folie, revenir vers mon mari, redevenir la femme idéale. Je l’aime, vraiment ! À ce moment-là, j’étais sûre de l’aimer.

— Et ensuite ?

— Mon fils est né. Je croyais que c’était l’enfant de mon mari. On n’a jamais fait vérifier, à quoi bon ? Maintenant, après le test, on découvre qu’il n’est pas de lui. Je suis sous le choc : je n’avais pas planifié ça. Tout cela n’était qu’une… erreur !

Elle me regardait avec tant d’espoir que je devais résister à la tentation de jouer la morale. Ma mission était de comprendre ce qu’elle voulait vraiment et de l’aider à voir la vérité.

— Que souhaitez‑vous faire maintenant ? ai‑je demandé.

— Retrouver ma famille. Faire en sorte qu’il reste. Je ne sais pas comment recoller les morceaux. Je veux qu’il me pardonne, que tout redevienne comme avant.

— Comment imaginez‑vous ce « comme avant » ?

— On vivait bien ensemble, sans problèmes. Il gagnait bien sa vie, prenait soin de moi, m’aimait. J’étais heureuse…

— Pourtant, vous avez quand même cherché ailleurs, donc quelque chose manquait dans ce « bonheur », non ?

Elle tressaillit, comme si ma question la blessait.

— Non, tout allait bien. C’est juste ma légèreté, je ne sais pas l’expliquer.

Dire « je ne sais pas » signifie souvent « je ne veux pas » ou « je ne suis pas prête ». J’ai décidé de ne pas insister. À la première séance, c’eût été vain.

— Je contacterai votre mari. J’aimerais entendre son point de vue, ai‑je conclu.

— Pourrez‑vous lui expliquer que je ne l’ai pas fait exprès, que je ne voulais pas détruire notre famille ? ses yeux imploraient ma réponse.

— Nous verrons, ai‑je répondu honnêtement.

Une semaine plus tard, le rendez‑vous familial était fixé : Alina avait réussi à convaincre son mari d’y participer. Mais vingt‑quatre heures avant la séance, j’ai reçu un SMS : « Il a dit qu’un divorce est plus simple et qu’il ne voit pas l’intérêt de consulter un psy. Il ne viendra pas. » J’ai compris que notre entretien familial était reporté indéfiniment.

Lors de la séance suivante, Alina est arrivée encore plus tendue :

— Vous avez parlé à Sergueï ?

— Oui.

— Et ? Il accepte ? Il viendra ?

— Non, il refuse.

La panique a déformé son visage :

— Comment ça non ? C’est si rapide ? Vous ne pouviez pas lui faire comprendre que je ne voulais pas détruire notre mariage ?

— Je lui ai proposé une discussion en thérapie, mais il a décliné. Il a pris sa décision.

— Alors vous ne pouvez pas me sauver, hein ?

J’ai baissé les yeux. C’était l’un de ces instants où l’on guette un miracle, une solution magique pour tout arranger. Hélas, il n’y en a pas.

— Alina, comprenez que votre mari ne souhaite pas parler. Il a sa position. S’il veut revenir, c’est à lui de prendre contact. On ne peut le contraindre.

— Et moi ? Je suis sa femme ! Il devrait comprendre que tout cela n’était qu’une erreur !

Chaque séance, je voyais qu’elle refusait de prendre la moindre responsabilité : « Ce n’était pas volontaire », « C’est arrivé par hasard ». Pourtant, trois mois d’aventure, ce n’est pas un simple « accident ». Peut‑être cherchait‑elle l’adrénaline, la passion, la liberté ? Elle ne voulait pas l’admettre.

Quelques semaines plus tard, elle est revenue, transformée : elle m’a expliqué que Sergueï avait engagé la procédure de divorce et qu’elle lui avait lancé un ultimatum : tant qu’il n’aurait pas signé, il devrait assister à une séance. Sinon, elle traînerait le processus…

— Et sa réponse ? ai‑je demandé.

— Il ne répond même plus. Il m’a dit qu’il était prêt à attendre six mois juste pour ne plus avoir à me voir.

J’ai réfléchi avant de répondre :

— C’est compréhensible : trahi, on peut aller jusqu’au bout de son principe. Votre ultimatum… vous cherchez à le forcer à faire ce qu’il ne veut pas.

— Que me reste‑t‑il ? hurlait-elle. Vous n’imaginez pas comme c’est dur, seule avec un bébé. On formait une si belle équipe, et maintenant, c’est un inconnu. Je suis prête à tout pour qu’il revienne…

— Dites‑moi, si je puis me permettre : pourquoi tenez‑vous tant à ce mariage où vous avez déjà fauté ? Êtes‑vous sûre de l’aimer vraiment ?

Elle a répliqué, furieuse :

— Oui ! Je l’aime ! C’est juste que… c’est arrivé. Vous, les psy, vous n’enseignez pas qu’on peut tous faire des erreurs ? Nous sommes humains !

— Bien sûr. Mais réfléchissez : derrière cette « erreur », il y a peut-être un vrai manque dans votre couple, un besoin d’attention ou d’émotions fortes…

— Non ! lâchait-elle. C’était juste la magie de la datcha, le vélo du voisin, l’ennui… Je voulais de l’attention.

— Exactement, vous vouliez de l’attention.

Elle soupira, mais restait sur sa ligne de défense :

— Ce n’est pas ma faute ! Vouloir de l’attention, c’est normal. Je n’avais pas l’intention de briser mon mariage.

Nous étions dans un cul‑de‑sac. Elle n’était pas prête à admettre la réalité. Son adultère n’était pas un simple « imprévu », mais un choix. Et elle refusait de l’assumer.

Le jour où Sergueï devait signer le divorce est finalement arrivé sans qu’il ne daigne passer me voir. Lors de notre ultime séance, Alina, totalement abattue, m’a confié :

— Je l’ai croisé près de son bureau. Il m’a à peine regardée et m’a dit : « Arrête de te faire du mal et de m’embêter. C’est fini entre nous. » Je lui ai glissé : « Pardonne-moi, je t’aime », et il m’a répondu : « Je ne veux plus entendre ta vérité. » Puis il est parti.

Je lui ai dit :

— Vous souffrez, je le comprends… Mais peut-être est‑il temps de reconnaître que votre aventure n’était pas une simple « erreur », mais le symptôme d’un besoin réel non comblé dans votre vie.

— Ce n’était pas prévu ! s’est-elle exclamée. Autant ne rien lui dire : l’enfant aurait grandi et tout aurait été oublié. Pourquoi cette honnêteté ?

— Votre mari considère apparemment que la tromperie est insoutenable. Il a découvert la vérité et en a tiré ses conclusions. Vous ne pouvez pas lui imposer votre pardon.

Elle est restée là, les poings serrés, le regard fuyant. Comme un animal traqué, désireux de s’en sortir ou de riposter, mais surtout incapable d’assumer son acte.

— Et maintenant, que comptez‑vous faire ? ai‑je demandé.

— Je ne sais pas… Je vais me battre jusqu’au bout. Lui prouver qu’on ne détruit pas tout pour une simple erreur.

— Et si jamais il refuse de revenir ?

Son regard s’est fait terrifié :

— Je ne veux pas imaginer ça. Je n’ai pas d’autre plan.

C’était effrayant de la voir refuser la moindre remise en question. Mais en tant que psychologue, je ne pouvais que proposer un chemin ; le choix de l’emprunter lui revenait.

Le divorce a finalement été prononcé. Lorsqu’elle est sortie de mon cabinet pour la dernière fois, elle m’a simplement dit :

— On se reverra peut‑être, s’il change d’avis et qu’on vienne ensemble vous voir.

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